Histoire Je ne me souviens pas de la dernière chose que j'ai vu. Il y a les quelques rares souvenirs en couleurs que je possède, et ceux, tellement nombreux, plongés dans le noir. Il n'y a pas d'intermédiaire entre eux, pas de liaison, pas de paumade pour atténuer petit à petit. Un jour, j'étais enfant, dans mon orphelinat, et je voyais le jour se coucher depuis ma petite fenêtre de ma petite chambre tellement grise, et puis, ce qui me semble être le lendemain, ce n'était plus que tout froid et tout noir. Je ne me souviens même plus d'être tombée malade, j'avais seulement sept ans, c'était une fièvre parmi tant d'autres. A cet âge, on tombe facilement malade. Je sais que c'était l'hiver, et c'était la saison la plus belle lorsqu'on avait sept ans et qu'on était dans un orphelinat. C'était la saison des batailles de boules de neige, des bonhommes, des anges qu'on faisait sur le sol avant de se faire gronder parce qu'on avait sali notre uniforme miteux. Et là encore, c'était pareil. Pas d'intermédiaire. Les flocons de neige puis le noir, le froid. Cette lumière que je ne reverrais jamais. Cette peur qui tenaille l'estomac d'une enfant, cette solitude parce qu'elle ne peut plus voir ce qui l'entoure. Elle est toujours seule, toujours froide. La lumière n'entre plus.
Pour atténuer ma solitude, quelques temps après qu'il fasse tout noir, quelqu'un avait frappé à ma porte. Je n'avais jamais de visite, je n'avais personne. Ni quand le soleil brillait, ni maintenant qu'il s'était éteint à jamais. Je n'avais pas vu son visage, mais j'avais entendu sa voix : Un masque de froideur que trahissait quelques tremblements hésitants. J'avais entendu la directrice expliquer à cette femme qui entrait dans ma vie, que j'étais tombée malade et que personne n'avait rien pu y faire, j'étais devenue aveugle pour toujours. Aveugle. Comme c'était étrange, comme mot. Elle l'expliquait ainsi, comme si je n'étais pas là et n'entendait pas en plus de ne rien voir, avec cette voix de profond respect que la directrice réservait aux familles les plus riches des enfants de l'orphelinat. Ceux qui avaient au moins une tante, un oncle, un grand parent qui venaient une fois l'an, pour faire bonne mesure. Cette dame, je compris immédiatement, au son de la voix de la directrice, qu'elle devait être impressionnante ou riche, ou les deux. Cette directrice quelque peu arriviste ne comprenait pas, tout comme moi. J'appris ce jour là de ses mots plus de choses sur moi qu'elle n'avait voulu m'en révéler en sept ans d'habitation dans l'orphelinat. Elle avait peut-être l'excuse du fait que j'étais une petite fille ou bien s'en fichait-elle juste, mais néanmoins, elle expliqua à la dame qu'une très jeune fille m'avait déposée là sept ans auparavent, durant l'hiver, le visage en larmes, seulement deux jours après ma naissance. Elle lui avait indiqué mes noms, et d'autres informations d'usage, m'avait regardée, m'avait embrassé sur le front et était partie sans se retourner. Elle expliqua que depuis, ils s'étaient occupés de moi du mieux qu'ils avaient pu. J'étais une enfant "calme, réservée, intelligente, craintive, toujours dans la lune" d'après ses mots. Puis, elle quitta la chambre sans un mot pour moi et après avoir salué avec respect la dame. Je sentis la main froide sur mon bras bien avant d'entendre ses pas, si légers et si souples, qu'ils étaient comme une ombre.
- Bonjour Rachel.
Sa voix. Ses hésitations qui ne masquaient pas la fermeté de sa voix, comme si elle s'obligeait à être parfaite dans tout ce qu'elle faisait, comme si jamais elle n'avait le droit de perdre la face. Assise sur mon lit que je savais gris, les mains coincées entre mes cuisses, j'avais tourné la tête vers la voix du mieux que je l'avais pu, et lui avait répondu avec prudence.
- Bonjour, madame. Comment tu vas ?
Politesse. Banalité. J'entendis un léger rire au fond de sa voix qu'elle ne fit pas éclater. Comme si j'étais une petite chose amusante. Mais encore une fois, elle était le contrôle-même.
- Je vais bien, ma petite, je vais bien. Tu dois te demander qui je suis, et pourquoi je suis ici dans ta chambre.
Je haussais les épaules – Ce qu'elle m'apprit à éviter plus tard, prenant celà comme un signe d'insolence ou de désintérêt. Bien sûr que je me posais des questions mais j'avais seulement sept ans, aucune famille et pas d'amis, j'étais une petite fille rêveuse et ce qui inquiète un adulte, aucune fillette ne s'en souciera.
- Je m'appelle Elisabeth, et je suis ta grand-mère. Je viens d'apprendre ton existence, et je suis venue te chercher pour te ramener chez moi, en Irlande, où je te donnerai l'éducation nécessaire à une enfant. Ici, il ne t'arrivera rien de très bon.
C'était des mots trop durs et trop compliqués pour une enfant. J'avais compris l'essentiel, et même plus que ce qu'elle avait voulu en dire. Calmement, je m'étais levée, et dirigée vers mon armoire. Toujours en silence, j'avais préparé mes affaires pour une nouvelle vie. Un nouveau départ, dans le froid et le noir.
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